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Manuel de Néphrologie 10° édition
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POUR EN SAVOIR PLUS

Pourquoi la créatininémie est-elle un marqueur imparfait de la fonction rénale ?

La créatinine est le produit terminal du catabolisme de la créatine musculaire. Pour un individu donné, la production de créatinine est stable et dépend essentiellement de sa masse musculaire. Celle-ci varie en fonction du poids, de l’état nutritionnel, de l’âge, du sexe, et de l’ethnie du patient. La production, et donc la concentration plasmatique de créatinine, est relativement constante au cours du nycthémère (la fluctuation de concentration plasmatique est inférieure à 10 % sur 24 heures).

La créatininémie est utilisée en pratique clinique courante pour évaluer le débit de filtration glomérulaire (DFG) car la créatinine est essentiellement éliminée par le rein par filtration glomérulaire et pour une très faible part, par sécrétion tubulaire ; donc, toute élévation de la créatinine plasmatique doit, en principe, correspondre à une diminution de la filtration glomérulaire.

Il existe une relation hyperbolique inverse entre le DFG et la créatininémie (figure 1). En pratique cela signifie que de faibles variations de la créatininémie (axe des y) dans les valeurs proches de la normale correspondent à une perte importante de DFG. Au contraire des variations importantes de la créatininémie dans des valeurs déjà élevées (insuffisance rénale sévère) correspondent à une baisse relativement faible du DFG.
Exemples :

un patient dont la créatininémie passe de 100 à 150 µmol/L (+50 µmol/L) a un DFG qui en moyenne diminue de 100 à 40 mL/min (−60 %) ;

un patient dont la créatininémie passe de 300 à 500 µmol/L (+200 µmol/L) a un DFG qui ne diminue «  que  » de 20 à 15 mL/min (−25 %).

Conclusions : de faibles variations de la créatininémie au début de la maladie rénale chronique témoignent déjà d’une perte importante de fonction rénale (et du nombre de néphrons fonctionnels).

Figure 1. Relation entre DFG et créatininémie

On estime que 85 % des sujets qui ont un DFG < 60 ml/min/1,73 m2 ont une créatininémie : > 137 µmol/L pour les hommes et > 104 µmol/L pour les femmes.

Cependant, il existe des circonstances où une élévation aiguë de la créatininémie ne correspond pas à une baisse du DFG :

substances interférant avec le dosage de la créatininémie : acide acéto-acétique (acidocétose diabétique), bilirubine, acide ascorbique, céfoxitine, flucytosine… ;

production accrue de créatinine : rhabdomyolyse massive, régime très riche en viande bouillie ;

médicaments diminuant la sécrétion tubulaire de créatinine : cimétidine, triméthoprime, amiloride, spironolactone.

En outre, en cas d’insuffisance rénale chronique, la clairance mesurée de la créatinine (avec recueil urinaire des 24 h : (Créat U × Volume U)/Créat P) surestime de façon importante le DFG du fait de l’augmentation de la sécrétion tubulaire de créatinine (en cas d’insuffisance rénale sévère, la créatinine urinaire peut provenir pour près de 30 % d’une sécrétion tubulaire). Cette limite de la clairance urinaire n’existe pas avec les formules d’estimation dérivées de la créatininémie (MDRD et CKD-EPI), qui modélisent le DFG en fonction de la créatininémie, intégrant donc tous les facteurs de variation de la créatininémie autre que le DFG (sécrétion tubulaire, excrétion digestive…).

La créatininémie ne dépendant pas que du DFG, un dosage dit «  normal  » pour des normes de laboratoire peut en fait correspondre à une altération sévère de la fonction rénale :

pour exemple, une créatininémie à 100 µmol/L peut correspondre à une fonction rénale normale chez un jeune homme de 80 kg, et à une diminution importante de la fonction rénale chez une femme âgée de 40 kg.

IL EST DONC ESSENTIEL D’ESTIMER SYSTÉMATIQUEMENT LE DFG (formules MDRD ou CKD-EPI). L’estimation par calcul est suffisante dans la très grande majorité des cas.