Bandeau
Manuel de Néphrologie 10° édition
Slogan du site
Descriptif du site
Chapitre 6 Hypercalcémie — Hypocalcémie Items 268 et 267

Chapitre 6
Items 268 et 267

N° 267. Troubles de l’équilibre acido-basique et désordres hydro-électrolytiques
N° 268. Hypercalcémie

Chapitre 6 Hypercalcémie — Hypocalcémie Items 268 et 267

Introduction

Le calcium est majoritairement contenu dans le compartiment osseux (tableau 1). Les modifications aiguës ou chroniques de sa (faible) concentration sérique ont cependant des conséquences graves.

Tableau 1. Distribution du calcium dans l’organisme

Contenu en calcium*
Situation Concentration mol mg
Os 99 % 31,4 × 103 1 255 × 103
Fluide extracellulaire 2,4mmol/L 35 1 400
Fluide intracellulaire 0,1 µmol/L < 1 < 40
Total 31,5 × 103 1 260 × 103

* Pour un sujet de 70 kg
[bloc_ombre]
La calcémie normale est comprise entre : 2,20 et 2,60 mmol/L
[/bloc_ombre]

HYPERCALCÉMIE (ITEM N° 268)

Rang Rubrique Intitulé Descriptif
A Définitions Connaître les normes de calcémie totale et de la calcémie ionisée Connaître les seuils de calcémie et savoir qu’une hypoalbuminémie impacte le dosage de la calcémie totale
A Diagnostic positif Savoir identifier une hypercalcémie Connaître les principaux symptômes associés à une hypercalcémie : déshydratation, altération de l’état général, troubles digestifs, syndrome confusionnel, fractures pathologiques
B Éléments physiopathologiques Connaître les principaux mécanismes des hypercalcémies Connaître le rôle de la parathormone et de la vitamine D, connaître les mécanismes de régulation de la calcémie aux niveaux osseux, digestif et rénal
A Diagnostic positif Connaître les principaux signes cliniques associés à l’hypercalcémie Connaître les principaux signes cliniques associés à une hypercalcémie : troubles digestifs et neurologiques, déshydratation, altération de l’état général
B Examens complémentaires Connaître les principales anomalies ECG associées à l’hypercalcémie Savoir identifier un raccourcissement du QTcv
A Examens complémentaires Connaître les examens complémentaires de première intention à réaliser en fonction du contexte devant une hypercalcémie Savoir demander une calcémie ionisée, créatininémie, ionogramme sanguin, phosphatémie, Électrophorèse de protides, Parathormone, ECG
B Examens complémentaires Connaître les principaux examens complémentaires utiles au diagnostic étiologique des hypercalcémies en fonction du bilan initial Savoir quand et comment rechercher une hyperparathyroïdie primaire (PTH, échographie cervicale, scintigraphie au MIBI), un myélome (EPS/Immunofixation, myélogramme, imagerie osseuse), une néoplasie associée à des métastases osseuses (scintigraphie osseuse), une intoxication à la Vitamine D (25-OH vit D, une endocrinopathie : TSH, cortisol), une sarcoïdose (1-25OH vitD)…
A Étiologies Connaître les principales étiologies des hypercalcémies (arbre diagnostique) Connaître les principales causes d’hypercalcémie en fonction du résultat de la PTH : hyperparathyroïdie primaire, myélome, métastases osseuses, intoxication vitamine D
A Prise en charge Connaître les principes du traitement des hypercalcémies sévères Savoir évaluer le degré d’urgence et mettre en place les premières mesures en fonction de l’étiologie (hydratation, biphosphonates, corticoïdes, épuration extrarénale) et orienter vers un service spécialisé en fonction de la cause

I. Définitions (A)

L’hypercalcémie est un problème clinique fréquent. Elle est définie par une calcémie totale supérieure à 2,60 mmol/L ou par une calcémie ionisée supérieure à 1,30 mmol/L.

II. Diagnostic positif – Savoir identifier une hypercalcémie (A)

Diagnostic biologique

La calcémie ionisée étant la variable régulée, une calcémie ionisée supérieure à 1,30 mmol/L est toujours pathologique (hypercalcémie vraie). A contrario, si l’hypercalcémie totale est le plus souvent la traduction d’une hypercalcémie vraie, elle peut parfois s’accompagner d’une calcémie ionisée normale (fausse hypercalcémie). En effet, plus de 40 % du calcium sérique est lié aux protéines, principalement à l’albumine. Une hyperalbuminémie, par déshydratation par exemple, conduit ainsi à une augmentation du calcium total, alors que le calcium ionisé reste normal.

Le bilan d’une hypercalcémie doit donc toujours comporter soit un dosage du calcium ionisé soit un dosage de l’albuminémie permettant de calculer la calcémie corrigée (valeur à laquelle serait la calcémie totale si l’albuminémie était normale).

Ca corrigée = (40 – Albumine) X 0,025 + Calcémie totale

III. Éléments physiopathologiques (B)

La calcémie est régulée par deux facteurs humoraux : l’hormone parathyroïdienne (PTH) et la vitamine D sous forme active (1,25 di OH vitamine D ou calcitriol). Elle est également directement régulée via des récepteurs sensibles à la calcémie.

A. Parathormone

La parathormone (PTH) est une hormone peptidique synthétisée par les parathyroïdes en réponse à l’hypocalcémie. Elle est hypercalcémiante et hypophosphatémiante. La PTH augmente la calcémie par un effet osseux (augmentation de la résorption osseuse), par un effet rénal (récepteurs tubulaires augmentant la réabsorption du calcium) et indirectement par un effet digestif (la PTH stimulant la synthèse du calcitriol).

B. 1,25 diOH-Vitamine D

Le calcitriol est la forme active de vitamine D. Elle est issue de l’hydroxylation de la 25OH vitamine D en position 1 par une 1-alpha hydroxylase exprimée par le tubule proximal rénal. L’activité de la 1-alpha hydroxylase est sous la dépendance de la PTH et de l’hypophosphatémie. Le calcitriol augmente la calcémie essentiellement par un effet digestif (augmentation de l’absorption). L’effet sur l’os est contrebalancé par un effet freinateur de la PTH.

C. Récepteurs du calcium (Calcium sensor ou CaSR)

Il existe des récepteurs sensibles au calcium dans le tissu parathyroïdien, dans l’os et au niveau de la membrane basolatérale de l’anse de Henle.

Le CaSR parathyroïdien rend compte du lien direct entre calcémie et valeur de PTH (l’hypocalcémie stimulant la PTH et l’hypercalcémie freinant la PTH).

Le CaSR tubulaire rénal permet une réponse directe à l’hypercalcémie aiguë, en diminuant la réabsorption du calcium tubulaire (hypercalciurie). Ceci explique l’hypercalciurie «  paradoxale  » au cours de l’HPT primaire.

L’hypercalcémie survient lorsque l’entrée de calcium dans la circulation dépasse les sorties urinaires et les entrées osseuses. Les deux sources principales du calcium sanguin sont le tube digestif et l’os ; certaines causes impliquent l’association de ces deux mécanismes (hypervitaminose D, hyperparathyroïdie par exemple).

IV. Signes cliniques de l’hypercalcémie (A)

L’expression clinique des hypercalcémies est très variable (10 % sont asymptomatiques). Les signes sont d’autant plus importants que l’hypercalcémie est sévère et d’installation rapide. Ils comprennent des signes généraux (fatigue, anorexie), des troubles digestifs (douleurs abdominales, constipation) et des manifestations neuropsychiques (troubles de la mémoire, dépression ou anxiété).

A. Hypercalcémie aiguë

[violet]1. Troubles digestifs[/violet]

Anorexie, nausées et vomissements sont fréquents lorsque la calcémie est > 3 mmol/L.

Rares poussées de pancréatite aiguë, de mécanisme incertain.

2. Troubles neuropsychiques

Asthénie, déficits cognitifs et troubles de l’humeur.

Confusion, épisodes hallucinatoires ou psychotiques et coma si hypercalcémie sévère.

[violet]3. Troubles cardiovasculaires aigus[/violet]

Hypertension artérielle.

Diminution de l’espace QT. Tachycardie sinusale, troubles du rythme ventriculaire (cf. ci-dessous).
[violet]
4. Déshydratation d’origine rénale[/violet]

Polyuro-polydipsie par diabète insipide néphrogénique (perte de l’expression des aquaporines 2).

Diminution de la réabsorption tubulaire de sodium dans l’anse de Henlé (inhibition du co-transporteur Na/K/2Cl). La déshydratation extracellulaire entretient l’hypercalcémie en augmentant la réabsorption tubulaire de calcium.

Insuffisance rénale aiguë fonctionnelle parfois aggravée par la diminution des


B. Hypercalcémie chronique

Lithiases rénales  : surtout en contexte d’hyperparathyroïdie primaire ou d’hypercalcémie prolongée

Insuffisance rénale chronique  : hypercalciurie prolongée avec dépôts tubulo-interstitiels de calcium (néphrocalcinose).

Troubles cardiovasculaires : dépôts calciques dans les artères coronaires, les valves et les fibres myocardiques.

IV. Principales anomalies ECG de l’hypercalcémie (B)

L’hypercalcémie aiguë sévère peut s’accompagner de signes électriques. Le principal signe électrocardiographique d’hypercalcémie est un raccourcissement de l’espace QT. Le raccourcissement comprend le ST, avec parfois une onde T débutant immédiatement après le QRS. Attention, La valeur normale de l’espace QT dépend de la fréquence cardiaque, et on doit calculer un QT corrigé.

Figure 1. ECG d’une patiente avec hypercalcémie à 4,6 mmol/L (métastases osseuses cancer du sein). Tachycardie sinusale.

Noter l’espace QT raccourci à 259 ms et un QTc également court à 339 ms.

V. Examens complémentaires de première intention à réaliser en fonction du contexte devant une hypercalcémie (A)

Devant toute hypercalcémie totale, il faut vérifier la réalité de l’hypercalcémie par un dosage de la calcémie ionisée ou alternativement de l’albuminémie pour calcul de la calcémie corrigée (cf. supra).

Une fois l’hypercalcémie établie, les examens de première intention visent à établir un diagnostic du mécanisme de l’hypercalcémie, préalable au diagnostic étiologique.

Ils comprennent :

La phosphatémie

La valeur de parathormone plasmatique (PTH)

Le taux de vitamine D (25 OH vitamine D) et de calcitriolémie (1,25 OH vitamine D) ;

Électrophorèse des protides ;

calciurie à jeun et des 24 h.

La valeur de PTH (N 15-65pg/mL) permet de distinguer les hypercalcémies d’origine parathyroïdienne (PTH normale ou élevée) des hypercalcémies extraparathyroïdiennes (PTH basse). Les valeurs de phosphatémie (N 0,84-1,4 mM), de calcitriolémie et de calciurie (N < 0,1 mmol/kg/j) permettent de préciser le mécanisme de l’hypercalcémie et de restreindre les champs diagnostiques étiologiques.

Un ECG est par ailleurs toujours réalisé en cas d’hypercalcémie sévère (calcémie totale supérieure à 3 mmol/L) afin d’évaluer le retentissement cardiaque

VI. Principales étiologies des hypercalcémies (A) et (B)

L’approche étiologique découle de l’approche mécanistique. La valeur de PTH permet de distinguer schématiquement 2 grands mécanismes d’hypercalcémie.

A. Hypercalcémie d’origine parathyroïdienne.

Dans ce cas, la valeur de PTH, normale ou augmentée, est inappropriée par rapport à la valeur de calcémie (relation Ca/PTH est décalée vers la droite). La PTH est à l’origine de l’hypercalcémie. La principale cause est l’hyperparathyroïdie primaire, le diagnostic différentiel étant l’hypercalcémie autosomique dominante par mutation inhibitrice du CaSR. La valeur de calciurie permet de distinguer les deux causes (cf. tableau 2).

[violet]
1. Hyperparathyroïdie primaire[/violet]

Au cours de l’hyperparathyroïdie primaire, l’augmentation primitive de la sécrétion de PTH a pour conséquences une hypercalcémie, une hypophosphatémie (Pi < 0,84 mmol/L) et une hypercalcitriolémie.

Il existe une hypercalciurie, malgré l’effet hypocalciuriant théorique de la PTH sur le tubule, du fait de l’augmentation de la résorption osseuse, de l’augmentation de l’absorption digestive de calcium secondaire à l’hypercalcitriolémie et de l’effet direct de l’hypercalcémie sur le tubule rénal.

L’hyperparathyroïdie primaire traduit dans 80 % des cas un adénome simple et dans 15 % des cas, une hyperplasie des quatre glandes.

Le carcinome parathyroïdien (forme maligne d’hyperparathyroïdie primaire) est exceptionnel (< 1 %) et s’accompagne d’une hypercalcémie sévère (> 3,5 mmol/L) mal tolérée.

Le diagnostic positif est biologique : hypercalcémie et PTH élevée ou normale.

L’échographie parathyroïdienne et la scintigraphie parathyroïdienne au sesta-MIBI ou la TEP Choline n’ont pas d’intérêt diagnostique mais permettent de localiser l’adénome parmi les 4 glandes, et peut avoir un intérêt pré-opératoire, notamment en cas de chirurgie mini-invasive.

L’adénome parathyroïdien touche essentiellement la femme après 40 ans, et peut se révéler diversement par une lithiase urinaire (dans 20 % des cas), des signes osseux (perte minérale osseuse, ostéite fibrokystique), une chondrocalcinose, des douleurs osseuses, ou rester asymptomatique (80 % des cas).

L’hyperparathyroïdie primaire peut être la conséquence d’une prise chronique de lithium (adénome ou hyperplasie). En général, l’hypercalcémie est modérée et il n’y a pas de lithiase.

En cas d’hyperplasie, il faut rechercher une atteinte endocrinienne multiple (Néoplasie endocrinienne multiple ou NEM).

[violet]
2. L’hyperparathyroidie secondaire
[/violet]

Elle ne s’accompagne pas d’hypercalcémie, mais dans le contexte d’insuffisance rénale chronique elle peut être très prolongée et s’autonomiser par hyperplasie et microadénomes on parle à ce stade d’hyperparathyroidie tertiaire.

B. Hypercalcémie d’origine extra-parathyroïdienne

Dans ce cas, la valeur de PTH est effondrée de manière adaptée à l’hypercalcémie (relation Ca/PTH normale). Ceci peut correspondre à différents mécanismes :

[violet]1. Hypercalcémie par hypervitaminose D[/violet]

La PTH est basse (hypercalcémie extra-parathyroïdienne), la phosphatémie est plutôt élevée (par freination de la PTH et par un effet direct sur l’absorption digestive du phosphate).

Cet excès de vitamine D peut être :

Une hypervitaminose D exogène : l’administration de calcitriol (ROCALTROL®, UN-ALFA®) ou de vitamine D2 ou D3 naturelle (STEROGYL®, UVEDOSE®, ZYMAD®) ou de vitamine D3 25-hydroxylé (DEDROGYL®). L’arrêt du calcitriol guérit l’hypercalcémie en deux jours, au besoin en y associant une hydratation large. Avec les vitamines D naturelles, la régression de l’hypercalcémie peut prendre plusieurs jours et nécessiter un traitement temporaire par glucocorticoïdes et hydratation.

L’augmentation de la production endogène extrarénale de calcitriol au cours des maladies granulomateuses (les macrophages des granulomes ont une activité 1-hydroxylase) : sarcoïdose, tuberculose, coccidioïdomycose, histoplasmose, lymphomes de Hodgkin ou non hodgkiniens).

[violet]2. Hypercalcémies primitivement osseuses[/violet]

On entend dans cette forme les hypercalcémies par augmentation des sorties osseuses de calcium non liées à la vitamine D ou à la PTH. La PTH est effondrée, en réponse à l’hypercalcémie (hypercalcémie extra-parathyroïdienne), et la calciurie très élevée.

Ces hypercalcémies peuvent être d’origine maligne (métastase osseuse, myélome), endocrinienne (hyperthyroïdie), médicamenteuse (intoxication à la vitamine A), ou liée à l’immobilisation.

[violet]
a. Hypercalcémie des affections malignes (cancers et hémopathies)[/violet]

Avec l’hyperparathyroïdie primaire, il s’agit d’une cause fréquente d’hypercalcémie, liée à une augmentation de la résorption osseuse, souvent moins bien tolérée car d’installation plus rapide.

De nombreuses tumeurs solides sont causales, en premier lieu les tumeurs métastasées du sein, du poumon, du rein, de la thyroïde et des testicules. Parmi les hémopathies, le myélome multiple occupe la première place devant les leucémies et les lymphomes.[rouge] La résorption osseuse relève d’un mécanisme local (relargage au sein des métastases osseuses de cytokines) ou systémique : sécrétion d’Osteoclast Activating Factor (myélome).[/rouge]

Hypercalcémie humorale maligne

Elle est en lien avec la synthèse de PTHrp par certaines tumeurs ([rouge]carcinome pulmonaire à petites cellules, du lymphome non hodgkinien, du myélome, entre autres[/rouge]), réalisant un syndrome paranéoplasique.

[rouge]La PTHrp est une substance PTH-like se liant au récepteur de la PTH avec un effet agoniste : résorption osseuse et diminution de la réabsorption de phosphate par le rein. Le tableau est celui d’une hypercalcémie hypophosphatémique mais avec une PTH effondrée (pseudohyperparathyroïdie), et un calcitriol bas (du fait de l’absence d’activation par la PTHrp de la un-alpha hydroxylase tubulaire rénale).[/rouge]

[violet]b. Autres causes d’hypercalcŽmie d’origine osseuse[/violet]

Hypervitaminose A : à des doses supérieures à 50 000 UI par jour, l’acide rétinoïque augmente la résorption osseuse.

Hyperthyroïdie : elle s’accompagne d’hypercalcémie modérée dans 15 à 20 % des cas par augmentation de la résorption osseuse.

Immobilisation prolongée complète : l’hypercalcémie est secondaire au découplage entre la résorption osseuse élevée et la formation osseuse effondrée, liée à l’absence de contrainte mécanique.

[violet]3. Hypercalcémie d’origine rénale[/violet]

Elle correspond aux hypercalcémies par diminution primitive de l’excrétion urinaire de calcium. Dans ce cas, à l’hypercalcémie et à la PTH basse est associée une calciurie basse. Ce mécanisme est l’apanage :

des diurétiques thiazidiques (augmentation de la réabsorption tubulaire proximale de calcium en réponse à l’hypovolémie). L’hypercalcémie sous thiazidiques démasque une pathologie sous-jacente (hyperparathyroïdie primaire frustre, intoxication à la vitamine D, sarcoïdose…) ;

et de la déshydratation extracellulaire sévère.

[violet]4. Hypercalcémie rebond post-rhabdomyolyse[/violet]

Le tableau ci-dessous décrit l’approche diagnostique mécanistique à partir des examens de première intention, et les causes associées.

Tableau 2. Principales causes d’hypercalcémie et présentation biologique,
par mécanisme

Causes Calcémie totale Calcémie ionisée PTH Phospha-témie 25 OH Vit D 1-25 OH Vit D Calciurie Causes
Pseudo-hypercalcémie N N N N N N Hyper-albuminémie
Acidose

[bloc_bordure]

Hypercalcémie parathyroïdienne (PTH normale ou augmentée - inadaptée)

[/bloc_bordure]

Hyperparathyroïdie primaire N ou ⇑ N Adénome
Hyperplasie
Hypercalcémie autosomique dominante N ou ⇑ N Mutation activatrice CaSR (AD) Lithium

[bloc_bordure]

Hypercalcémie extra-parathyroïdienne (PTH basse - adaptée)

[/bloc_bordure]

Hypercalcémie osseuse N ou ⇑ N N ⇑ ⇑ Métastase osseuse Myélome, Lymphome Hyperthyroïdie intoxication Vit A Immobilisation prolongée
Hypercalcémie humorale maligne N ⇑ ⇑ Paranéoplasique (CPC pulmonaire, lymphome…)
Intoxication vitamine D Prise médicamenteuse
Hypercalcitriolémie N ou ⇑ N ⇑ ⇑ Granulomatose
(Sarcoïdose +++)
Hypercalcémie rénale N N N Prise de diurétique thiazidique Déshydratation sévère
Hypercalcémie post-rhabdomyolyse N ou ⇑ N N Toutes causes de rhabdomyolyse

VII. Principes du traitement des hypercalcémies sévères (A)

Principe : abaisser la calcémie et début du traitement étiologique si possible (parathyroïdectomie, chimiothérapie, corticothérapie…).

Dans tous les cas, les traitements inducteurs ou à risque doivent être arrêtés : calcium et vitamine D, diurétiques (thiazidiques), lithium, digitaliques.

L’hypercalcémie sévère symptomatique est une urgence thérapeutique. Son traitement commence toujours par une réhydratation.

A. Traitement de l’hypercalcémie aiguë sévère symptomatique (> 3 mmol/L)

Perfusion de soluté salé isotonique pour corriger la déshydratation extracellulaire et diminuer la calcémie (effet pro-calciuriant) en bloquant le mécanisme d’entretien de l’hypercalcémie.

[Si la réexpansion du volume extracellulaire par le soluté salé isotonique (NaCl 9 g‰) reste la première approche incontournable du traitement de l’hypercalcémie sévère, la diurèse forcée au furosémide n’est plus recommandée voire déconseillée dans certaines situations (myélome).]

Inhibition de la résorption osseuse : la plupart des hypercalcémies aiguës sévères ont une participation osseuse (hypercalcémie d’origine maligne, hyperparathyroïdie primaire en particulier) et sont donc sensibles à un traitement anti-ostéoclastique par biphosphonates. La durée d’action varie de quelques jours à quelques semaines.

Exemple :

pamidronate 30 mg si calcémie inférieure à 3 mmol/L ;

pamidronate 60 mg si calcémie comprise entre 3 et 3,5 mmol/L ;

pamidronate 90 mg si calcémie supérieure à 3,5 mmol/L.

L’administration de calcitonine n’est pratiquement plus utilisée pour traiter les hypercalcémies car l’effet est très transitoire.

Diminution de l’absorption digestive de calcium par glucocorticoïdes (prednisone 10 à 20 mg par jour). Ce traitement est préférentiellement adapté aux hypercalcémies des myélomes et des hémopathies, et des hypercalcémies granulomateuses (sarcoïdose en particulier).

Dialyse dans les formes graves, surtout en cas d’insuffisance rénale, avec bain de dialyse pauvre en calcium. Le principal intérêt est un effet rapide.

L’hypercalcémie de l’hyperparathyroïdie primaire simple est souvent peu symptomatique car d’installation chronique. L’hypercalcémie liée aux rares carcinomes parathyroïdiens est très symptomatique et relève d’un traitement spécifique par calcimimétique (Cinacalcet).

B. Traitement étiologique

Le traitement de la cause doit être privilégié (arrêt d’une intoxication vitaminique, traitement d’un cancer, d’une affection endocrinienne, exérèse d’un adénome parathyroïdien, remobilisation…), cf. «  Pour en savoir plus  ».

[violet]

HYPOCALCEMIE (Item 267)

[/violet]

Rang Rubrique Intitulé Descriptif
A Définition Savoir dans quelles circonstances doit être prescrite une calcémie et définir l’hypocalcémie Seuil, interprétation en fonction de l’albumi­némie, calcémie ionisée
B Éléments physiopathologiques Comprendre les mécanismes de l’hypocalcémie
A Diagnostic positif Connaître les principaux signes cliniques associés à l’hypocalcémie
B Examens complémentaire s Connaître les principales anomalies ECG associées à l’hypocalcémie Espace QT et risque de troubles du rythme
A Examens complémentaires Connaître les principaux examens complémentaires utiles au diagnostic étiologique de l’hypocalcémie
A Étiologies Connaître les principales étiologies des hypocalcémies (arbre diagnostique) Insuffisance rénale chronique, hypopara­thyroïdie post-chirurgie, post-radiothérapie
A Prise en charge Connaître les principes du traitement des hypocalcémies Connaître les principes de l’administration d’une supplémentation en calcium et en vitamine D

I. Introduction – Définition (A)

L’hypocalcémie est une anomalie métabolique peu fréquente.

Il faut distinguer l’hypocalcémie vraie, avec diminution du calcium ionisé (fraction régulée), des fausses hypocalcémies par diminution de la fraction liée aux protéines. En effet, plus de 40 % du calcium sérique est lié aux protéines, principalement à l’albumine. Une hypoalbuminémie (par exemple au cours du syndrome néphrotique, de la dénutrition ou de l’insuffisance hépatocellulaire) conduit à une diminution du calcium total, mais sans diminution du calcium ionisé. Le bilan d’une hypocalcémie doit donc toujours comporter un dosage du calcium ionisé et un dosage d’albuminémie.

L’hypocalcémie totale est définie par une concentration plasmatique inférieure à 2,20 mmol/L, une hypocalcémie ionisée par une concentration inférieure à 1,15 mmol/L.
En cas d’hypoalbuminémie, la calcémie corrigée est donnée par la formule suivante : Ca corrigée = (40 – albumine)  0,025 + Ca total.

L’expression clinique des hypocalcémies est très variable selon sa profondeur et sa vitesse d’installation.

II. Physiopathologie de l’hypocalcémie (B)

La concentration de calcium ionisé est régulée par deux facteurs circulants : l’hormone parathyroïdienne (PTH) et la vitamine D active (calcitriol). La sécrétion de PTH par les glandes parathyroïdes dépend de la stimulation ou non du récepteur sensible au calcium exprimé à la membrane de leurs cellules : la stimulation du récepteur freine la sécrétion de PTH. La PTH agit en mobilisant le calcium de la phase minérale osseuse, et en augmentant la réabsorption tubulaire de calcium (anse de Henle et tube contourné distal). La PTH inhibe la réabsorption du phosphate, et stimule la synthèse de calcitriol dans le tube proximal. Lequel calcitriol (métabolite actif de la vitamine D) augmente l’absorption digestive de calcium et de phosphore.

L’hypocalcémie survient lorsque la perte nette de calcium depuis le compartiment extracellulaire excède l’apport de calcium en provenance de l’intestin ou de l’os.

L’hypocalcémie résulte donc :

soit d’une augmentation des pertes de calcium (dépôts dans les tissus, transfert osseux, pertes urinaires, chélation intra vasculaire) ;

soit d’une diminution des entrées de calcium dans la circulation (malabsorption intestinale, diminution de la résorption osseuse).

En raison de la très grande quantité de calcium stockée dans l’os, qui peut être mobilisée pour maintenir la calcémie normale (au prix d’une perte minérale osseuse), une hypocalcémie chronique ne peut survenir que s’il existe une anomalie de la production ou de l’action cellulaire soit de PTH, ou encore en cas de carence profonde en vitamine D.

III. Symptômes (A)

Ils sont corrélés avec la profondeur de l’hypocalcémie et sa rapidité d’installation :

les manifestations neuromusculaires spontanées sont au premier plan :

paresthésies distales,

crampes musculaires,

spasmes laryngés,

tétanie voire convulsions ;

les troubles des fonctions supérieures ;

les manifestations cardiaques : élargissement de l’intervalle QT (figure 1) pouvant se compliquer d’un bloc auriculo-ventriculaire voire d’une fibrillation ventriculaire.

Figure 1. Élargissement de l’espace QT

(500 mS/fréquence cardiaque à 64/min)

Deux signes provoqués assez spécifiques de l’hypocalcémie peuvent être recherchés :

le signe de Chvostek est une contraction faciale déclenchée par la percussion du nerf facial en dessous de l’os zygomatique ;

le signe de Trousseau est le déclenchement d’une flexion du poignet et des articulations métacarpo-phalangiennes, les doigts en hyper-extension et flexion du pouce (main d’accoucheur ; figure 2) par l’occlusion de l’artère brachiale (à l’aide d’un brassard maintenu au-dessus de la pression systolique pendant 3 minutes).

Figure 2. Signe de Trousseau

IV. Examens complémentaires utiles au diagnostic étiologique de l’hypocalcémie

Le raisonnement devant une hypocalcémie s’appuie sur quelques examens biologiques simples (voir tableau) :

calcium total ;

calcium ionisé et/ou albuminémie ;

phosphate sérique ;

parathormone (PTH) plasmatique ;

vitamine D (25 OH vitamine D) et calcitriolémie (1,25 OH vitamine D) ;

calciurie des 24 h.

V. Causes d’hypocalcémie chronique (A)

Le premier élément de la démarche diagnostique consiste à distinguer l’hypocalcémie liée à la PTH (hypocalcémie parathyroïdienne) de celle indépendante de la PTH (extra-parathyroïdienne). L’hypocalcémie d’origine parathyroïdienne s’accompagne d’une concentration basse ou «  anormalement normale  » de PTH, alors que les hypocalcémies indépendantes de la PTH s’accompagnent d’une stimulation de la sécrétion parathyroïdienne (réponse adaptée à l’hypocalcémie).

Tableau 1. Principales causes d’hypocalcémie chronique et présentation biologique

Causes Calcémie totale Calcémie ionisée PTH Phosphatémie 25 OH Vit D 1-25 OH Vit D Calciurie
Pseudo-hypocalcémie N N N N N N

Causes à PTH normale ou basse (inadapté)

Hypoparathyroïdie N ou ⇓ ⇑ ⇑ N N ou ⇓

Causes à PTH élevée (adapté)

Carence en vitamine D
IR Chronique avancée N ou ⇑ N


A. Hypoparathyroïdie

La diminution primitive de la PTH a pour conséquences une hypocalcémie et une hyperphosphatémie (Pi > 1,4 mmol). La calciurie dépend de la charge filtrée de calcium (qui baisse avec la calcémie) et de la réabsorption tubulaire de calcium (qui est stimulée par la PTH et inhibée via le récepteur du calcium tubulaire). Au cours de l’hypoparathyroïdie, l’effet net est une calciurie basse, mais qui augmente de façon très importante dès lors que le patient reçoit un traitement vitamino-calcique.

[violet]1. Causes d’hypoparathyroïdie[/violet]

Acquise :

post-chirurgicale (la plus fréquente) : suites d’une chirurgie parathyroïdienne, thyroïdienne ou cervicale radicale pour des cancers ORL ;

hypomagnésémie profonde (< 0,5 mmol/L) qui freine la synthèse de PTH et surtout rend ses organes cibles résistants à son action ;

infiltration du tissu parathyroïdien (rare) : amylose, granulome, cancer métastatique.

Génétique (rare : variation génétique sur le gène codant pour la PTH ou des facteurs de transcription le régulant).

Le diagnostic différentiel est l’hypocalcémie hypercalciurique familiale, secondaire à une mutation activatrice du récepteur sensible au calcium. La calciurie élevée permet de la distinguer des autres formes d’hypocalcémie à PTH basse (tableau 1).

B. Carence en vitamine D

La vitamine D est une vitamine liposoluble dérivée du cholestérol, provenant soit de l’alimentation, soit de la peau après exposition aux UV. La vitamine D native est inactive. Elle doit subir une double hydroxylation, tout d’abord hépatique (25 OH vitamine D ou calcidiol), puis rénale (1,25 OH vitamine D ou calcitriol). La forme active de vitamine D est le calcitriol. Le calcidiol et le calcitriol peuvent être inactivés par hydroxylation en position 24 dans les cellules cibles.

En cas de déficit en vitamine D native ou active, la calcémie est maintenue normale grâce à une stimulation de la synthèse de PTH (hyperparathyroïdie secondaire). Si les apports calciques sont insuffisants, l’hypocalcémie peut toutefois apparaître.

1. Les principales causes de déficit en vitamine D native sont :

un apport alimentaire insuffisant (enfant) ;

une exposition insuffisante aux UV ;

une malabsorption des graisses (au cours de l’insuffisance pancréatique exocrine en particulier).

[violet]
2. Certains médicaments peuvent interagir avec le métabolisme de la vitamine D :
[/violet]

une diminution de la 25-hydroxylation hépatique de la vitamine D (par certaines anti-protéases par exemple) ;

une augmentation de l’inactivation par 24-hydroxylation hépatique (certains anticonvulsivants, corticoïdes).

Les hypocalcémies liées à une hypovitaminose D sont classiquement associées à une hypophosphatémie, à l’exception de l’insuffisance rénale chronique avancée. La carence chronique en vitamine D se complique d’ostéomalacie.

C. Insuffisance rénale chronique

Au cours de la maladie rénale chronique, la 1α-hydroxylation du calcidiol en calcitriol (qui a normalement lieu dans le tube proximal) diminue. Mais il existe d’autres sites hydroxylation. Dans les faits, la calcémie reste le plus souvent normale jusqu’à un stade préterminal en raison de l’hyperparathyroïdie secondaire.

VI. Causes d’hypocalcémie aiguë (A)

L’hypocalcémie aiguë est le plus souvent la conséquence d’une mobilisation du calcium circulant, soit par précipitation, soit par transfert.

Précipitation du calcium

Intravasculaire :

chélation par du phosphate intracellulaire libéré au cours lors de la rhabdomyolyse ou d’une lyse tumorale ;

chélation d’origine iatrogène (citrate au cours de transfusion massive de sang ou de plasma citraté, surtout en cas d’insuffisance hépatique par diminution du catabolisme du citrate), foscarnet, phosphate…

Tissulaire dans les tissus nécrosés (pancréatite aiguë, rhabdomyolyse).

Transfert du calcium

Syndrome dit de «  l’os affamé  » (hungry-bone disease) qui survient après parathyroïdectomie pour hyperparathyroïdie primitive ou tertiaire et beaucoup plus rarement après thyroïdectomie chez des patients hyperthyroïdiens, ou lors de la reprise d’une activité physique après une immobilisation prolongée.

Alcalose respiratoire aiguë qui augmente la liaison du calcium à l’albumine, et réduit donc la concentration de calcium ionisé, sans modifier la calcémie totale.

Ceci explique les troubles neuromusculaires apparaissant au cours de la «  spasmophilie  », l’hyperventilation entraînant une alcalose ventilatoire à l’origine d’une hypocalcémie ionisée aiguë.
[bloc_ombre]
Toutes ces causes d’hypocalcémie aiguë s’accompagnent d’une PTH élevée, adaptée à l’hypocalcémie (hyperparathyroïdie secondaire) à l’exception de l’hypocalcémie post-parathyroïdectomie, où l’hypocalcémie transitoire est souvent de mécanisme mixte, par transfert intra osseux de calcium (syndrome de l’os affamé) mais également par sidération des parathyroïdes restantes (hypoparathyroïdie transitoire).
[/bloc_ombre]

VII. Traitement (A)

Lorsque la cause est accessible à un traitement, la prise en charge est d’abord étiologique. Le traitement symptomatique comporte :

Apport de calcium per os (carbonate de calcium) : 500 mg à 1,5 g/jour en dehors des repas (administré au cours d’un repas, il se lierait aux phosphates alimentaires et à l’oxalate pour former des sels insolubles et inabsorbables dans l’intestin). La dose est limitée à 500 mg par jour en cas d’insuffisance rénale chronique.

Apport de calcium parentéral (gluconate de calcium ou chlorure de calcium) : en cas d’hypocalcémie symptomatique.

Correction d’une hypomagnésémie le cas échéant.

Correction d’une carence en vitamine D : apports en vitamine D, sous forme de vitamine D2 (ergocalciférolStérogyl®) ou de vitamine D3 (cholécalciférol, Uvedose®).

Apport de vitamine D hydroxylé en position 1 en cas d’insuffisance rénale chronique : 1-α OH-vitamine D (Un-Alfa®) ou 1,25- (OH) 2 – vitamine D (Rocaltrol®). Ce traitement n’est pas approprié en cas d’hyperphosphatémie.

Considérations thérapeutiques particulières :

au cours de l’hypoparathyroïdie, le traitement repose sur l’administration combinée de calcium et de vitamine D active (Un Alfa® ou Rocaltrol®). L’objectif de ce traitement est d’atteindre la valeur de calcémie minimale pour laquelle le patient est asymptomatique, mais non d’obtenir une normocalcémie, qui ne pourrait se faire qu’au prix d’une hypercalciurie massive exposant au risque de lithiase urinaire et de néphrocalcinose ;

au cours de la rhabdomyolyse, la correction de l’hypocalcémie doit être prudente, car il existe au cours de la récupération des lésions tissulaires un risque d’effet rebond (hypercalcémie par mobilisation des dépôts calciques musculaires).
de calcium uniquement si symptomatique (risque d’hypercalcémie rebond).