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Manuel de Néphrologie 10° édition
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Chapitre 4 Item 330 Les diurétiques
Manuel 2023-Chapitre 4 entier

N° 330 Prescription et surveillance des classes de médicaments les plus courantes chez l’adulte et chez l’enfant, hors anti-infectieux. Connaître les grands principes thérapeutiques

Rang Rubrique Intitulé Descriptif
A Prise en charge Diurétiques / connaitre les mécanismes d’action, indications, effets secondaires, interactions médicamenteuses, modalités de surveillance et principales causes d’échec Connaître les mécanismes d’action

I. Introduction

Les diurétiques ont en commun la propriété d’augmenter l’élimination du sodium et de l’eau par le rein. Ils exercent cet effet par une inhibition de la réabsorption rénale du sodium.

Cette capacité des diurétiques à négativer la balance hydrosodée explique qu’ils soient utilisés dans le traitement des états œdémateux et de l’hypertension artérielle.

II. Classification des diurétiques (A)

Il existe quatre classes de diurétiques, qui se distinguent par leur site d’action.

Les diurétiques proximaux : ce sont les inhibiteurs de l’anhydrase carbonique (acétazolamide) et les substances osmotiques (Mannitol). Ils ne sont pas utilisés dans le traitement des syndromes œdémateux d’origine rénale, ni dans le traitement de l’HTA.

Les diurétiques de l’anse : furosémide, bumétanide, pirétanide ; ils inhibent la réabsorption de sodium dans la branche ascendante de l’anse de Henle.

Les diurétiques thiazidiques : ce sont des dérivés du benzothiazide, et sont donc des sulfamidés : hydrochlorothiazide, chlortalidone, indapamide. Ils inhibent la réabsorption de sodium sur la partie proximale du tube distal, au niveau du segment de dilution.

Les diurétiques du tube collecteur cortical : ils regroupent l’amiloride et les antialdostérones, spironolactone, éplérènone ; ils ont en commun la capacité de s’opposer à l’échange Na/K.

III. Mécanismes d’action des diurétiques (A)

A. Mécanismes de transport du Na

Toutes les cellules qui transportent le sodium possèdent des pompes Na-K-ATPase dépendantes sur leur membrane baso-latérale. Ces pompes sont indispensables au transport du sodium. Leurs fonctions sont résumées dans la figure 1.

Figure 1. Mécanismes de réabsorption du Na dans le tubule rénal

Chaque segment du néphron a un mécanisme d’entrée du sodium unique et la possibilité d’inhiber spécifiquement cette étape différencie les différentes classes de diurétiques
(figure 2).

Figure 2. Site d’action des diurétiques

La plus grande partie du Na filtré est réabsorbée au niveau du tube contourné proximal (TCP) (60-65 %) et de l’anse de Henle (20 %).

B. Mode d’action des diurétiques de l’anse (figure 3)

L’entrée du NaCl filtré dans les cellules du segment ascendant de l’anse de Henle est médiée par un co-transporteur Na-K-2Cl situé sur la membrane apicale de la cellule. L’énergie pour ce transfert est fournie par le gradient électrochimique favorable de sodium (faible concentration intracellulaire, électronégativité de la cellule).

Les diurétiques de l’anse inhibent directement la réabsorption de Na, K, Cl par compétition avec le site Cl du co-transporteur. Ils permettent d’inhiber partiellement un site où 20 à 25 % de la quantité de Na filtré est réabsorbée (= fraction d’excrétion du Na).

Ces diurétiques ont également une action importante sur l’élimination du calcium (l’inhibition de la réabsorption de NaCl entraîne l’inhibition de la réabsorption du calcium).

Figure 3. Mode d’action des diurétiques de l’anse

C. Mode d’action des diurétiques thiazidiques (figure 4)

Au niveau du tube distal, l’entrée dans la cellule du sodium filtré est médiée par un co-transporteur NaCl situé sur la membrane apicale.

Les diurétiques thiazidiques inhibent directement la réabsorption de NaCl par compétition avec le site Cl du co-transporteur. Ils stimulent indirectement la réabsorption de calcium (augmentation de la réabsorption tubulaire proximale parallèle à celle du Na).

Leur effet est faible ; ils permettent d’inhiber partiellement un site où 5 à 10 % de la quantité de Na filtré est réabsorbée.

Figure 4. Mode d’action des thiazides

D. Mode d’action des diurétiques épargnant le potassium (figure 5)

Ils interviennent au niveau de la cellule principale dans le tube collecteur cortical.

L’entrée du sodium filtré dans ces cellules est médiée par la présence d’un canal épithélial sodique (ENaC) sur la membrane apicale. L’énergie est fournie par le gradient favorable de Na. Le Na réabsorbé est ensuite excrété de la cellule par une pompe NaK-ATPase dépendante sur la membrane basolatérale.

L’aldostérone augmente le nombre de canaux sodés et de pompes NaK-ATPase dépendantes.

Parmi les diurétiques épargnant le K, on distingue :

l’amiloride qui bloque directement le canal épithélial sodique ;

les antialdostérones (spironolactone et éplérénone) qui s’oppose à l’action de l’aldostérone en entrant en compétition avec le récepteur intra-cytosolique aux minéralocorticoïdes.

L’effet natriurétique de ces substances est faible puisqu’ils inhibent partiellement un site où 1 à 3 % du sodium filtré est réabsorbé. Ils sont surtout utilisés en combinaison avec les thiazidiques pour prévenir la fuite urinaire de K.

[violet]Figure 5. Mode d’action des diurétiques épargnant le potassium[/violet]

IV. Indications du traitement diurétique (A)

A. Insuffisance cardiaque

Le traitement de la rétention hydrosodée de l’insuffisance cardiaque fait appel à un diurétique de l’anse auquel peut être associé un thiazidique en cas d’œdèmes réfractaires.

L’effet bénéfique des diurétiques a été renforcé par la démonstration que la spironolactone à la dose de 25-50 mg/jour améliore la survie des patients ayant une insuffisance cardiaque évoluée. Cet effet est probablement lié aux propriétés d’épargne potassique et anti-fibrosante de la spironolactone. L’éplérénone, plus récemment introduite, permettrait des bénéfices analogues avec des effets secondaires (gynécomastie, impuissance…) moindres.

B. Hypertension artérielle

L’efficacité des diurétiques pour prévenir les complications cardiaques et vasculaires de l’HTA a été parfaitement démontrée par de multiples essais de prévention. Les thiazidiques figurent au rang des quatre classes médicamenteuses recommandées (ANAES, grade A) pour une utilisation en première intention dans l’HTA commune.

Les diurétiques sont particulièrement efficaces chez les sujets noirs et chez les personnes âgées.

Pour traiter l’HTA, la posologie d’hydrochlorothiazide préconisée est de 12,5 à 25 mg/jour. Il est nécessaire de surveiller la kaliémie.

Les associations préférentielles des diurétiques thiazidiques sont soit les diurétiques épargneurs de potassium soit les bloqueurs du système rénine-­angiotensine-aldostérone (IEC ou ARA2).

Cas particuliers :

en cas d’hyperaldostéronisme primaire non chirurgical, la spironolactone est le traitement logique de l’hypertension ;

en cas d’insuffisance rénale chronique avec un DFG < 30 mL/min/1,73 m2, les thiazidiques sont peu efficaces, et les épargneurs de potassium sont dangereux (hyperkaliémie). Les diurétiques de l’anse sont les seuls utilisés, à doses adaptées selon le degré d’insuffisance rénale (furosémide : 40 à 500 mg/jour).

C. Autres indications

[violet]1. États de rétention sodée[/violet]

Décompensation œdémato-ascitique du cirrhotique.

Syndrome néphrotique.

Sont utilisés préférentiellement les diurétiques de l’anse auquel peut être associée la spironolactone.

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2. Hypercalcémie majeure
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Indication actuellement rare du furosémide.

Nécessité d’une réhydratation parfaite et d’une surveillance clinique et biologique très attentive (la diurèse induite doit être très abondante pour que le traitement soit efficace).
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3. Lithiase urinaire récidivante avec hypercalciurie idiopathique[/violet]

Les diurétiques thiazidiques augmentent la réabsorption rénale de calcium et sont donc hypocalciuriants.

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4. Glaucome
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L’acétazolamide (inhibiteur de l’anhydrase carbonique, «  diurétique  » proximal) est largement utilisé dans le traitement du glaucome chronique.

V. Effets secondaires du traitement diurétique et précautions d’emploi (A)

Les effets secondaires sont liés à leur mode d’action et sont résumés dans le tableau 1.

Tableau 1. Complications des diurétiques

Déplétion volémique (tous)
Hypokaliémie (ACTZ, DA, TZD)
Hyperkaliémie (DEK +)
Alcalose métabolique (TZD et DA)
Acidose métabolique (ACTZ et DEK +)
Hyponatrémie (TZD)
Hyperuricémie (DA, TZD)

ACTZ : acétazolamide ; DA : diurétiques de l’anse ; TZD : thiazides ; DEK + : diurétiques épargneurs de potassium

La tolérance générale des diurétiques est en règle générale excellente. Cependant ont été décrits :

A. Accidents hydroélectrolytiques

[violet]1. Hypokaliémie[/violet]

L’effet hypokaliémiant est surtout observé avec les diurétiques proximaux, les diurétiques de l’anse et, à un moindre degré, les thiazidiques. Sous traitement par les thiazidiques, la kaliémie ne s’abaisse que discrètement.

Les sujets exposés au risque d’hypokaliémie sont ceux dont les apports sodés sont élevés (échanges Na-K dans le tube collecteur) et présentant un hyperaldostéronisme (primaire ou secondaire).

La mesure de la kaliémie est indispensable avant tout traitement, puis régulièrement au cours du suivi. Une kaliémie égale ou inférieure à 3,6 mEq/L impose une compensation (aliments riches en K) ou surtout l’adjonction d’un diurétique épargnant le potassium.

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2. Déshydratation et hyponatrémie
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L’hyponatrémie : liée à l’utilisation de tout natriurétique mais le plus souvent de diurétiques thiazidiques chez le sujet âgé, ayant :

une prise de boissons trop abondante, en régime désodé ;

et/ou une autre cause d’hyponatrémie associée (insuffisance cardiaque, cirrhose, hypothyroïdie) ;

elle peut être favorisée par la diarrhée, un syndrome infectieux et les fortes chaleurs.

Une insuffisance rénale fonctionnelle secondaire à la déshydratation extracellulaire éventuellement aggravée par la coprescription d’un bloqueur du système rénine-­angiotensine (IEC, ARA2).

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3. Hyperkaliémie
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Plusieurs facteurs augmentent le risque d’hyperkaliémie lors de la prise de diurétiques épargneurs de potassium :

l’insuffisance rénale ;

la néphropathie diabétique ;

l’administration simultanée d’un bloqueur du système rénine-angiotensine (IEC, ARA2) ;

la prise d’AINS ;

une supplémentation potassique.

4. Hypomagnésémie

Elle s’observe essentiellement sous diurétiques de l’anse, et, à un moindre degré, après prise de thiazidiques.

B. Effets métaboliques

Augmentation du taux des triglycérides et du cholestérol, modérée et transitoire.

Hyperuricémie  : toute thérapeutique diurétique (en dehors de la spironolactone) s’accompagne d’une élévation de l’uricémie. L’hyperuricémie au long cours s’accompagne rarement de crises de goutte ; elle n’est pas un facteur de risque vasculaire.

C. Autres effets secondaires

Accidents allergiques sous thiazidiques.

Gynécomastie chez l’homme et troubles menstruels chez la femme sous spironolactone.

Interaction : les diurétiques diminuent la clairance du lithium, ce qui nécessite un contrôle de son taux plasmatique.

D. Diurétiques et insuffisance rénale

En cas de DFG < 30 ml/mn/ 1,73 m2.

Les diurétiques thiazidiques perdent en partie leur efficacité en cas d’insuffisance rénale.

Les diurétiques distaux exposent au risque d’hyperkaliémie grave et sont contre-­ indiqués.

Seuls les diurétiques de l’anse conservent leur efficacité et sont licites. Il peut être nécessaire d’utiliser une forte posologie de furosémide pour obtenir un accroissement de la natriurèse.