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Manuel de Néphrologie 10° édition
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Chapitre 3 Anomalies du bilan du potassium Item 267

N° 267. Troubles de l’équilibre acido-basique et désordres hydroélectriques

Manuel 2023-Chapitre 3 entier
Rang Rubrique Intitulé Descriptif
B Éléments physiopathologiques Connaître les principes de la régulation de la kaliémie
A Définition Connaître les indications de prescription d’une kaliémie et définition de l’hyperkaliémie
B Diagnostic positif Symptomatologie clinique de l’hyperkaliémie
A Examens complémentaires Connaître les anomalies ECG associées à l’hyperkaliémie
A Étiologies Connaître les principales étiologies des hyperkaliémies Insuffisance rénale, acidose métabolique, médicaments (apports en sel de K, BSRA, Epargneurs de K, Trimethoprime, AINS, héparine…)
A Prise en charge Connaître le principe du traitement d’urgence de l’hyperkaliémie sévère Devant une hyperkaliémie présentant des signes de gravité (modifications ECG/niveau d’hyperkaliémie) savoir administrer des Sels de Ca et un schéma Insuline-Glucose, savoir prendre un avis spécialisé pour l’indication d’une EER
B Prise en charge Connaître les autres possibilités de traitement d’urgence de l’hyperkaliémie sévère Savoir utiliser les B mimétiques et les principes de l’utilisation du bicarbonate de Na
A Prise en charge Connaître le traitement de l’hyperkaliémie chronique modérée Diététique, résines échangeuses, éviction des médicaments à risques
A Définition Connaître les indications de prescription d’une kaliémie et définition de l’hypokaliémie
A Diagnostic positif Connaître les symptômes cliniques de l’hypokaliémie Reconnaître les signes musculaires de l’hypokaliémie
A Examens complémentaires Connaître les anomalies ECG associées à l’hypokaliémie
A Étiologies Connaître les principales étiologies des hypokaliémies Connaître les principales causes d’hypokaliémie avec pertes extra-rénales (diarrhées) et rénales selon la présence ou non d’une HTA (arbre diagnostique)
A Prise en charge Connaître le principe du traitement d’urgence de l’hypokaliémie sévère Savoir supplémenter un patient hypokaliémique

Éléments physiopathologiques : principes de la régulation de la kaliémie (B)

Le potassium est le principal cation des liquides intracellulaires où sa concentration varie de 100 à 150 mEq/L. Le potassium représente chez un homme de 70 kg un stock d’environ 3 750 mmol, dont 98 % sont situés dans le compartiment intracellulaire. La cellule musculaire squelettique constitue la plus grande réserve potassique. Ainsi, pour un homme de 70 kg, 28 kg de cellules musculaires correspondent à 2 600 mmol de potassium.

Le potassium est peu abondant dans le compartiment extracellulaire (moins de 2 % du potassium total) mais sa concentration plasmatique est très finement régulée. Les valeurs normales plasmatiques se situent entre 3,5 et 5,0 mmol/L. La régulation fine de la kaliémie passe par des systèmes régulateurs internes, liés à l’activité de la NaK-ATPase (voir section «  pour en savoir plus  ») et externes (rein, surrénales, foie et tube digestif principalement) :

Les systèmes internes régulant le transfert intracellulaire du potassium via l’activité de la NaK-ATPase sont :

les catécholamines stimulent l’entrée cellulaire du K+ (effet -adrénergique) ;

l’insuline stimule l’entrée cellulaire du K+ ;

l’état acido-basique : l’acidose métabolique bloque l’entrée cellulaire du K+ (inhibition de la NaK-ATPase). Elle augmente aussi la fuite passive de potassium vers le secteur extracellulaire.

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Attention

 Les acidoses respiratoires n’induisent qu’une augmentation modérée de la kaliémie, car l’hypercapnie stimule aussi le système sympathique provoquant la libération de catécholamine hyperactivant la NaK-ATPase et limitant le transfert de potassium vers l’extracellulaire (effet principalement -adrénergique).

 Les acidoses métaboliques dites «  organiques  » (acido-cétose, acidose lactique, intoxication à l’éthylène glycol par exemple) n’induisent pas ou peu d’élévation de la kaliémie en raison de la libre diffusion des anions (lactate, acéto-acétate…) vers l’espace intracellulaire limitant la nécessité d’échanger un ion K+ intracellulaire contre un ion H+ extracellulaire.
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Systèmes régulateurs de l’homéostasie externe du potassium :

principalement l’aldostérone (voir section «  pour en savoir plus  »).

I. Hyperkaliémie

A. Indications de prescription d’une kaliémie et définition de l’hyperkaliémie (A)

L’hyperkaliémie est définie par une concentration plasmatique du potassium supérieure à 5,0mmol/L. Une hyperkaliémie de constitution brutale peut mettre rapidement en jeu le pronostic vital et nécessite une conduite diagnostique et thérapeutique rigoureuse et urgente.

Des fausses hyperkaliémies sont dues à la libération de potassium du compartiment intracellulaire vers le compartiment extracellulaire :

hémolyse lors d’un prélèvement laborieux avec un garrot serré ;

centrifugation tardive du tube (prélèvement au domicile du patient) ;

hyperleucocytose majeure (> 100 000/mm3) ou thrombocytémie (> 1 000 000/mm3).

Les indications de dosage de la kaliémie en vue de détecter une hyperkaliémie sont nombreuses et découlent du contexte pathologique décrit ci-dessous dans le paragraphe «  étiologies  ». Deux situations sont particulièrement fréquentes :

la surveillance d’un patient présentant une insuffisance rénale aiguë ou chronique ;

et la prise de médicaments altérant le métabolisme du potassium (bloqueurs du système rénine-angiotenisine (IEC-ARA2…), diurétiques épargneurs de potassium, AINS…

B. Symptomatologie clinique de l’hyperkaliémie (B)

Les manifestations cliniques de l’hyperkaliémie résultent des modifications du gradient potassique entre les compartiments intra et extracellulaires responsables d’altérations des potentiels de membrane. L’effet cardiaque est lié à une hypoexcitabilité myocardique.

[violet]1. Signes neuro-musculaires[/violet]

Ils sont non spécifiques : anomalies de la sensibilité superficielle (pallesthésique et/ou thermoalgique) à type de brûlures ou de paresthésies des extrémités. Plus tardivement peuvent apparaître une faiblesse musculaire voire une paralysie flasque débutant aux membres inférieurs d’évolution ascendante pouvant s’étendre jusqu’aux muscles cervicaux avec l’impossibilité de maintenir la tête droite. Cette paralysie peut atteindre les muscles respiratoires dans les formes sévères, menant alors à une défaillance respiratoire. En pratique, l’apparition d’une paralysie flasque hyperkaliémique s’accompagne toujours d’anomalies ECG et annonce un arrêt cardiaque imminent.

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2. Signes hémodynamiques[/violet]

Dans les formes sévères : l’hyperkaliémie a des effets sur la contractilité cardiaque donnant lieu à une hypotension artérielle. La chute de pression artérielle dans l’hyperkaliémie est un signe de gravité.

Ces anomalies cliniques justifient la pratique immédiate d’un électrocardiogramme devant toute suspicion d’hyperkaliémie avant même de confirmer le diagnostic par la mesure de la kaliémie. Il n’existe pas de parallélisme strict entre le niveau d’hyperkaliémie et la sévérité des manifestations électrocardiographiques ; l’absence de toute anomalie électrique pour une kaliémie supérieure à 6 mmol/L doit cependant faire rechercher une fausse hyperkaliémie.

[violet]
3. Signes cardiaques (Figure 1) – Connaître les anomalies ECG
associées à l’hyperkaliémie (A)
[/violet]

Les symptômes cardiaques se manifestent par des modifications électro-cardiographiques d’apparition progressive que sont successivement et par ordre de gravité :

repolarisation accélérée avec une augmentation de l’amplitude des ondesT, pointues et symétriques pouvant dépasser le sommet de l’onde R, bien vues dans les dérivations antérieures (V2 à V4) et postérieures (DII et DIII) ;

des anomalies de la conduction auriculaire (diminution puis disparition de l’onde P), auriculo-ventriculaire (blocs sino-auriculaires et auriculo-ventriculaires) ;

puis des anomalies de la conduction intraventriculaire avec élargissement des complexes QRS ;

puis d’une bradycardie à QRS large (dites «  sine wave pattern  ») précédant l’asystolie.

Des arythmies ventriculaires (rythme ventriculaire idiopathique, tachycardie ventriculaire, fibrillation ventriculaire) peuvent survenir si l’hyperkaliémie est associée à une ischémie myocardique, une hypocalcémie sévère, une hypothermie, une acidose sévère, une intoxication aux digitaliques ou une stimulation vagale importante.

Figure 1.

C. Principales étiologies des hyperkaliémies (A)

Une hyperkaliémie peut être liée :

à un excès d’apport  ;

à un transfert exagéré du compartiment intracellulaire vers le compartiment extracellulaire ;

à une diminution de la capacité d’excrétion rénale.

[violet]1. Excès d’apport[/violet]

L’hyperkaliémie par excès d’apport est rare en dehors du contexte d’insuffisance rénale.

Une hyperkaliémie peut survenir après administration de doses massives de potassium par voie orale ou intraveineuse, d’autant plus que le rythme d’infusion est rapide et que l’excrétion du potassium est limitée (traitement par un diurétique épargneur potassique, insuffisance rénale).

[violet]2. Transfert[/violet]

Acidose métabolique à trou anionique plasmatique normal

Ce type d’acidose aiguë est responsable d’une hyperkaliémie par transfert : les ions hydrogènes pénètrent dans les cellules, dans le même temps le potassium intracellulaire ressort vers le compartiment extracellulaire.

L’augmentation de la kaliémie d’environ 0,5 mmol/L pour chaque baisse de 0,1 du pH.

Catabolisme cellulaire accru

Une destruction tissulaire aiguë et massive conduit à la libération de potassium intracellulaire. Toutes les causes de lyse cellulaire peuvent être responsables d’une hyperkaliémie :

rhabdomyolyse et écrasement musculaire ;

brûlures étendues ;

hémolyse intravasculaire massive ;

lyse tumorale spontanée ou au cours d’une chimiothérapie ;

syndrome de revascularisation post-opératoire ;

hémorragie digestive sévère ;

hyperthermie.

Hyperosmolarité, augmentation de la kaliémie 0,3 et 0,6 mEq/L pour chaque augmentation de 10 mOsm/kg (perfusion de mannitol, hyperglycémie).

Exercice physique intense

L’exercice musculaire intense et prolongé est responsable d’une libération de potassium par les cellules musculaires, favorisée par la sécrétion de glucagon et l’inhibition de la sécrétion d’insuline induites par l’exercice.

Causes médicamenteuses et toxiques

De nombreuses substances peuvent être responsables d’une hyperkaliémie par le biais d’un transfert extracellulaire de potassium :

les ß-bloquants non sélectifs constituent une cause d’hyperkaliémie, par le blocage du transfert intracellulaire mais aussi par l’induction d’un état d’hyporéninisme-hypoaldostéronisme ;

l’intoxication digitalique au cours de laquelle l’inhibition de la pompe Na-K-ATPase conduit à une augmentation du potassium extracellulaire et à un effondrement du potassium intracellulaire ;

les agonistes -adrénergiques limitent le passage intra-cellulaire de potassium ;

la succinylcholine est un curare dépolarisant utilisé en anesthésie qui inhibe la repolarisation membranaire des cellules musculaires. Elle peut augmenter de façon brutale la perméabilité membranaire au potassium et être responsable d’hyperkaliémies sévères dans différentes situations cliniques : brûlures, traumatismes musculaires, alitements prolongés et neuromyopathie de réanimation…

[violet]3. Réduction de l’excrétion rénale[/violet]

Insuffisance rénale

Aiguë : elle peut être responsable d’une hyperkaliémie sévère mettant rapidement en jeu le pronostic vital, particulièrement en cas d’anurie ou si l’insuffisance rénale aiguë est due à une cause génératrice d’hyperkaliémie per se telle qu’une rhabdomyolyse ou une hémolyse.

Chronique  : l’homéostasie du potassium est maintenue jusqu’à un degré avancé d’insuffisance rénale en raison d’une adaptation des excrétions rénales et digestives du potassium. En pratique clinique, la survenue d’une hyperkaliémie avant le stade d’insuffisance rénale préterminale doit faire rechercher un facteur favorisant associé.

Déficits en minéralocorticoïdes

Insuffisance surrénalienne au cours de la maladie d’Addison ou de rares déficits enzymatiques (21-hydroxylase, 3b-hydroxy-deshydrogénase).

Syndrome d’hyporéninisme-hypoaldostéronisme se traduisant par une hyperkaliémie associée à une acidose métabolique hyperchlorémique. Ce syndrome est rencontré au cours de la néphropathie diabétique, de l’infection par le VIH…

Syndrome mimant un déficit congénital en aldostérone (exceptionnel) : pseudohypo-aldostéronisme de type I ou II [syndrome de Gordon]).

Les causes iatrogènes sont de loin les plus fréquentes (++) :

AINS (y compris inhibiteurs de COX 2) par inhibition de synthèse des prostaglandines avec hyporéninisme,

ciclosporine, tacrolimus,

héparine, héparine de bas poids moléculaire (baisse de la synthèse d’aldos­térone),

inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) et antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II (ARA2), inhibiteur direct de la rénine,

antagonistes compétitifs de l’aldostérone (aldostérone, éplérénone) (résistance à l’action de l’aldostérone),

blocage du canal sodium épithélial : diurétique épargneur de potassium (amiloride), triméthoprime, pentamidine.

Au total, les causes les plus fréquentes d’hyperkaliémie restent iatrogènes et sont liées à la prise d’IEC ou d’ARA2, le plus souvent chez un patient ayant une hypovolémie efficace (déshydratation extracellulaire, insuffisance cardiaque) ou une insuffisance rénale chronique sous-jacente. Il faut aussi rechercher des apports excessifs de potassium (sels de régime ou de supplémentation).

D. Diagnostic

Toute suspicion d’hyperkaliémie impose la réalisation immédiate d’un ECG. L’évaluation du degré de gravité est indispensable pour décider du traitement symptomatique. L’existence de troubles de la conduction ou de signes neuromusculaires imposent un traitement en extrême urgence.

Le diagnostic étiologique passe par :

la recherche d’une fausse hyperkaliémie ;

l’évaluation des apports potassiques ;

la recherche de cause évidente de transfert du secteur intracellulaire vers l’extra­cellulaire ;

la recherche d’une lyse cellulaire ;

la mesure de la kaliurèse ;

la recherche de facteurs favorisant l’hyperkaliémie.

E. Traitement : principe du traitement d’urgence de l’hyperkaliémie sévère (A)

La vitesse et les modalités du traitement dépendent :

de la vitesse d’installation et du niveau de l’hyperkaliémie ;

du retentissement électrocardiographique ;

et de l’état clinique du patient (signes neuro-musculaires) ;

si l’hyperkaliémie dépasse 7 mmol/L, ou surtout si elle est responsable d’une disparition de l’onde P et/ou de troubles de conduction intra-ventriculaire, un traitement doit être entrepris en extrême urgence.

L’arrêt des médicaments hyperkaliémiants est indispensable.

[violet]1. Correction des troubles de conductions myocardiques[/violet]

Injection intraveineuse en 2 à 3 minutes de sels de calcium : une ampoule de 10 ml de gluconate de calcium à 10 % (moins veinotoxique que le chlorure de calcium) permet une amélioration des anomalies de conduction cardiaque en 1 à 3 minutes (durée d’action maximale de 30 à 60 minutes).

Nouvelle injection en cas d’inefficacité après 5 minutes (surveillance ECG).

L’utilisation des sels de calcium est contre-indiquée en cas de traitement par digitaliques (le chlorure de magnésium peut être alors utilisé) et ne doit pas être mélangé au soluté bicarbonate de sodium.
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NB : Les sels de calcium ne font pas baisser la kaliémie

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[violet]2. Transfert du potassium vers le compartiment intracellulaire[/violet]

L’insuline augmente la captation cellulaire du potassium (activation de la NaK-­ATPase). Une perfusion de soluté glucosé est systématiquement associée pour éviter toute hypoglycémie. Le schéma proposé comporte l’administration de soluté glucosé à 10 % (500 mL) associé à 10 à 15 UI d’insuline ordinaire en IV (en 15-30 min). L’efficacité de l’insuline est assez constante et diminue la kaliémie de 0,5 à 1,2 mmol/L en 1 à 2 heures.

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Autres possibilités de traitement d’urgence de l’hyperkaliémie sévère (B)

Les agents ß-adrénergiques, en particulier le salbutamol (activation de la NaK-­ATPase). Son effet s’additionne avec celui de l’insuline. La dose recommandée est en théorie 4 fois celle de l’asthme (= 20 mg dans 4 ml de soluté salé isotonique 9 ‰ en nébulisation sur 10 minutes.

L’alcalinisation plasmatique est préconisée uniquement en cas d’acidose métabolique aiguë à trou anionique normal. Dans cette situation, l’alcalinisation favorise le transfert du potassium vers le compartiment intracellulaire. L’effet est négligeable chez les sujets en insuffisance rénale chronique avancée. Le bicarbonate de Na est administré par voie IV sous forme de soluté isotonique (14 g ‰) voire hypertonique (semi-molaire à 42 ‰ ou molaire à 84 ‰). Lhttp://cuen.fr/manuel3/ecrire/?exec=article_edit&id_article=15#a dose à injecter est d’environ 50 mmol de HCO3– soit environ 300 mL de bicarbonate de Na isotonique. Le délai d’action se situe entre 4 à 6 heures. La perfusion ne doit pas être administrée concomitamment à l’injection de calcium (risque de précipitation de bicarbonate de calcium). L’alcalinisation expose à un risque de surcharge hydrosodée (à éviter chez les patients en OAP) ou de veinotoxicité (bicarbonate de Na semi-molaire ou molaire).
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[violet]3. Élimination de la surcharge potassique[/violet]

Diurétiques de l’anse (furosémide, bumétanide) : ils augmentent l’excrétion rénale de potassium. Leur délai d’action est de 1 à 4 heures avec une efficacité inconstante. Ils sont contre-indiqués en cas de déshydratation extracellulaire.

Épuration extrarénale par hémodialyse  : moyen le plus rapide et le plus efficace pour traiter une hyperkaliémie sévère et symptomatique. Pendant la première heure d’hémodialyse et avec un bain pauvre en potassium, 30 à 40 mmol de potassium peuvent être soustraites permettant de baisser la kaliémie de plus de 1,5 mmol/L. L’indication de dialyse est impérative en cas d’insuffisance rénale anurique avec une hyperkaliémie menaçante sur l’ECG.

Résines échangeuses d’ions (échange, au niveau de la muqueuse digestive colique, de potassium contre un autre ion). Le sulfonate de polystyrène sodique (KAYEXALATE®) échange un ion potassium contre un ion sodium. Il est administré soit per os (15 à 30 g) toutes les 4 à 6 heures mais n’agit qu’en quelques heures (traitement des hyperkaliémies chroniques. L’administration en lavement est possible (50-100 g) mais n’est pas plus efficace et expose à un risque de complications digestives : nécrose et perforation. Les facteurs de risques de perforations digestives (après lavement ou traitement per os) sont : le contexte post-opératoire, l’hypotension artérielle et l’hypovolémie modifiant l’hémodynamique digestive et enfin la transplantation rénale.

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4. Stratégies de traitement
[/violet]

L’hyperkaliémie sévère (kaliémie > 7 mmol/L) ou menaçante au plan électrocardiographique est une urgence absolue :

en l’absence d’intoxication digitalique, un sel de calcium doit être administré par voie intraveineuse ;

puis soluté glucosé (10 %) avec de l’insuline IV (10-15 UI) associés à du salbutamol en nébulisation ;

soluté bicarbonaté si acidose hyperchlorémique associée (et en absence d’OAP) ;

en cas d’œdème aigu du poumon associé : furosémide à fortes doses. En cas de non-réponse au diurétique (insuffisance rénale organique associée), l’épuration extrarénale par hémodialyse doit être rapidement débutée. Les solutés contenant du sodium (bicarbonate de sodium) sont ici contre-indiqués.

Le traitement d’une hyperkaliémie aiguë modérée, sans retentissement sur la conduction cardiaque, repose sur :

l’apport de soluté glucosé (10 %) avec de l’insuline IV (10-15 UI) et/ou associés à du salbutamol en nébulisation (si kaliémie entre 6 et 7 mmol/L) ;

l’arrêt des apports potassiques alimentaires et intraveineux ;

l’éviction des médicaments hyperkaliémiants ;

la correction d’une acidose métabolique modérée (bicarbonate de sodium per os 2 à 4 g/j) ;

l’administration des résines échangeuses d’ions peut compléter le traitement.

Connaître le traitement de l’hyperkaliémie chronique modérée (A)

La prévention ou le traitement des hyperkaliémies modérées et chroniques notamment au cours de l’insuffisance rénale chronique relèvent de l’utilisation des résines échangeuses d’ions et/ou de l’administration de diurétiques hypokaliémiants (diurétiques de l’anse ou thiazidiques).

Le cas particulier de l’intoxication par digitalique nécessite un traitement rapide par anticorps spécifiques (DIGIDOT®).

Les cas d’hyperkaliémie avec hypoaldostéronisme (insuffisance surrénalienne) sont efficacement traités par le 9-fluorohydrocortisone.

II. Hypokaliémies

A. Indications de prescription d’une kaliémie et définition de l’hypokaliémie (A)

L’hypokaliémie est définie par une concentration plasmatique de potassium inférieure à 3,5 mmol/L. Elle peut mettre en jeu le pronostic vital en raison de son retentissement cardiaque.

Des fausses hypokaliémies dues au passage de potassium du compartiment extracellulaire vers le compartiment intracellulaire sont décrites chez des malades leucémiques très hyperleucocytaires, si le prélèvement sanguin reste de façon prolongée à température ambiante.

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Les indications de dosage de la kaliémie en vue de détecter une hypokaliémie sont nombreuses et découlent du contexte pathologique décrit ci-dessous dans le paragraphe «  étiologies  ». Deux situations sont particulièrement fréquentes :
la surveillance d’un patient traité par des diurétiques hypokaliémiants (diurétiques de l’anse, thiazidiques…) ;
certains contextes pathologiques fréquents : bilan d’hypertension artérielle, diarrhées aiguës ou chroniques…
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B. Symptomatologie de l’hypokaliémie (A)

Les signes cliniques sont essentiellement neuromusculaires et liés à l’hyperpolarisation membranaire.

[violet]1. Signes cardiaques (Figure 2) – Connaître les anomalies ECG
associées à l’hypokaliémie (A)
[/violet]

L’atteinte myocardique est liée à une augmentation de l’automaticité cardiaque et à un retard de repolarisation ventriculaire conduisant à une prolongation de la période réfractaire. Globalement s’installe un état d’hyperexcitabilité cardiaque.

Les signes électrocardiographiques présents comportent successivement selon le degré de l’hypokaliémie :

dépression du segment ST (de V1 à V3 et en DII) ;
affaissement voire inversion de l’onde T  ;

augmentation de l’onde U physiologique (V1 et V2) et apparition d’une onde U «  pathologique  » en V3 et DII (ralentissement de la repolarisation) ;

allongement de l’espace QT ;

troubles du rythme supraventriculaires (fibrillation auriculaire, tachycardie sinusales) ;

troubles du rythme ventriculaires (extrasystoles ventriculaire, tachycardie ventriculaire, torsade de pointe, fibrillation ventriculaire).

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NB : Dans le contexte d’hypokaliémie chronique comme l’anorexie mentale, le rapport de potassium entre le secteur intracellulaire et extracellulaire est relativement conservé et explique l’absence de signes ECG même devant des kaliémies inférieures à 3 mmol/L.

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Figure 2.

La survenue d’arythmie est favorisée par :

une cardiopathie ischémique sous-jacente ;

une hypertrophie ventriculaire gauche ;

une hypercalcémie ;

les traitements par digitalique ou anti-arythmiques ;

la survenue d’une torsade de pointe est favorisée par une hypomagnésémie.

[violet]2. Autres symptômes de l’hypokaliémie (A)[/violet]

Signes musculaires

L’atteinte comporte :

des crampes ;

des myalgies ;

une faiblesse musculaire voire une paralysie survenant typiquement par accès, débutant aux membres inférieurs puis à progression ascendante, atteignant progressivement le tronc et le diaphragme.

Une rhabdomyolyse peut survenir en cas de déplétion potassique sévère.

Signes digestifs

Il s’agit essentiellement d’une constipation, d’un iléus paralytique (syndrome d’Ogilvie), voire d’un retard à la reprise du transit post-opératoire.

Signes rénaux

Une déplétion chronique sévère en potassium peut être responsable d’une néphropathie hypokaliémique se traduisant par :

un syndrome polyuropolydipsique (lié à une résistance tubulaire à l’ADH et à une réduction du gradient corticopapillaire) ;

tube contourné proximal, à la sécrétion de protons et à la production d’ammonium) ;

et à long terme, une néphropathie interstitielle chronique (souvent associée à des kystes dans la médullaire rénale).

C. Démarche diagnostique : principales étiologies des hypokaliémies (A)

 version complète dans le «  pour en savoir plus  »

Une hypokaliémie peut être liée à une carence d’apport en potassium, un transfert exagéré du compartiment extracellulaire vers le compartiment intracellulaire ou un excès de pertes.

[violet]1. Carence d’apport[/violet]

Exceptionnellement responsable à elle seule d’une hypokaliémie, elle en facilite la survenue en cas de perte potassique supplémentaire. Elle peut survenir au cours de :

l’anorexie mentale où l’hypokaliémie doit alors faire rechercher également des vomissements, la prise de laxatifs ou de diurétiques ;

de la nutrition artificielle exclusive si un apport de 3 g par jour de potassium n’est pas maintenu.

[violet]2. Transfert excessif du compartiment extracellulaire vers le compartiment intracellulaire[/violet]

Alcalose métabolique ou respiratoire (responsable de l’entrée du potassium extracellulaire dans la cellule en échange de protons relargués par les tampons intracellulaires). La kaliémie baisse d’environ 0,5 mmol/L par élévation de 0,1 unité du pH extracellulaire.

Administration d’insuline au cours de l’acidocétose diabétique ou après perfusion de grandes quantités de solutés glucosés (hyperinsulinisime réactionnel).

Agents ß-adrénergiques  :

endogènes (phéochromocytome, ou situations pathologiques associées à un stress et une hypercatécholergie : cardiopathies ischémiques, traumatismes crâniens, delirium tremens) ;

ou exogènes (salbutamol au cours du traitement de l’asthme ou des menaces de fausse couche, dobutamine, intoxication à la théophylline).

Forte stimulation de l’hématopoïèse :

après administration d’acide folique ou de vitamine B12 ;

en cas d’anémie mégaloblastique ;
au cours de leucémies d’évolution rapide ;

ou au cours du traitement par G-CSF en cas de neutropénie.

[violet]3. Augmentation des pertes de potassium[/violet]

Pertes d’origine digestive :

les pertes extrarénales de potassium sont caractérisées par une réponse rénale appropriée : diminution compensatrice de la kaliurèse < 20 mmol/L ;

la concentration de potassium dans les liquides digestifs d’origine basse (diarrhées, fistule, drainage) est élevée, 40 à 80 mmol/L (alors qu’elle est basse dans le liquide gastrique : 10 mmol/L) ;

les principales causes sont :

diarrhées aiguës : associées à une acidose métabolique par perte digestive de bicarbonates,

diarrhées chroniques : maladie des laxatifs (plus souvent associée à une alcalose métabolique de contraction).

Pertes d’origine rénale  : kaliurèse >20 mmol/L

Hypokaliémie avec fuite urinaire de potassium et hypertension artérielle évoquant une sécrétion excessive de stéroïdes surrénaliens :

avec rénine plasmatique élevée :

— hyperaldostéronismes secondaires à l’activation du système rénine-angiotensine : sténose unilatérale de l’artère rénale, HTA maligne,

avec rénine plasmatique basse :

— hyperaldostéronisme primitif lié à l’excès de production d’un minéralo-corticoïde qui est l’aldostérone dans 90 % des cas. Il s’agit d’un adénome de la surrénale dans 2/3 des cas ou d’une hyperplasie bilatérale. L’HTA est dite volo-dépendante et la rénine est basse,

— hyperminéralocorticismes sans hyperaldostéronisme : syndromes de Cushing (notamment paranéoplasiques) et déficit en 11β-hydroxy-déshydrogénase de type 2 (= syndrome d’excès apparent de minéralocorticoïdes) acquis lié à un inhibiteur de l’enzyme 11β HSD2 comme l’acide glycyrrhizique contenu dans la réglisse (zan, antésite…).

Hypokaliémie avec fuite urinaire de potassium et pression artérielle normale ou basse  :

s’il existe une acidose métabolique :

— acidocétose diabétique,

— acidose tubulaire rénale ;

s’il existe une alcalose métabolique associée :

la chlorurie est basse (< 10 mmol/L) (voir «  pour en savoir plus  ») :

[rouge] - en cas de vomissements abondants ou prolongés ou d’aspiration gastrique, l’hypokaliémie est davantage liée à la perte urinaire de potassium (natriurèse et kaliurèse associées à la bicarbonaturie) et au transfert intracellulaire secondaire à l’alcalose métabolique qu’à une perte directe de potassium car le liquide gastrique est pauvre en potassium,
 diarrhées chroniques à chlore : mucoviscidose,[/rouge]

— la chlorurie est élevée (> 20 mmol/L) :

 diurétiques thiazidiques et de l’anse, responsables d’un effet kaliurétique,

 [rouge]néphropathies avec perte de sel (néphropathies interstitielles chroniques, syndrome de Bartter, de Gitelman).[/rouge]

[violet]4. Démarche diagnostique (++)[/violet]

Elle est indiquée dans l’arbre décisionnel (figure 3).

Schématiquement, après avoir écarté une hypokaliémie liée à une redistribution du potassium entre les compartiments extra et intracellulaires, on s’interroge sur le comportement rénal du potassium.

Face à une kaliurèse basse, la réponse rénale est considérée adaptée et le diagnostic s’oriente vers des pertes extrarénales notamment digestives.

Au contraire si la kaliurèse est maintenue, la réponse rénale est inadaptée. On distingue alors 2 situations :

la présence d’une hypertension artérielle orientant vers des causes endocriniennes ou vasculo-­rénales de l’hypokaliémie. Le dosage de la rénine (ou de l’activité rénine plasmatique) et un écho-doppler rénal permettent alors de distinguer un certain nombre d’étiologies ;

l’absence d’hypertension artérielle indique une fuite rénale de potassium liée à une néphropathie, à la prise de diurétiques voire à une anomalie génétique mimant la prise chronique de diurétiques thiazidiques (= syndrome de Gitelman) ou de l’anse (= syndrome de Bartter). Si la chlorurie est basse, une perte extrarénale de chlore est alors associée et la perte rénale de potassium est liée à l’alcalose métabolique secondaire à la perte de Cl–.

Figure 3. Arbre diagnostique des hypokaliémies

E. Traitement

Le traitement de l’hypokaliémie est avant tout étiologique. La prise en charge symptomatique impose d’apprécier en premier lieu le retentissement de l’hypokaliémie en particulier sur le myocarde (ECG).

Pour corriger une hypokaliémie modérée sans signe ECG, une supplémentation potassique orale est en règle générale suffisante :

aliments riches en potassium (fruits frais et secs, légumes, viandes, chocolat) ;

prise de divers sels de potassium, le plus utilisé étant le chlorure de potassium sous forme de sirop ou de microcapsules à libération prolongée (KALEORID®, DIFFU-K®).

[violet] Connaître le principe du traitement d’urgence de l’hypokaliémie sévère (A)[/violet]

En cas d’hypokaliémie sévère ou compliquée de troubles cardiaques, l’objectif est de rétablir rapidement une kaliémie supérieure à 3 mmol/L et la voie intraveineuse est alors recommandée. Le chlorure de potassium peut être administré par voie veineuse dilué dans du soluté salé. Le débit de perfusion ne doit pas dépasser 1,5 g par heure sous surveillance répétée de la kaliémie, du rythme cardiaque et de la veine perfusée en raison de la veinotoxicité du KCl. Il faut éviter la perfusion de solutés glucosés surtout à la phase initiale du traitement en raison du risque de majoration de l’hypokaliémie (via la sécrétion d’insuline).