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Article mis en ligne le 21 mars 2016
dernière modification le 31 mai 2016

par ps

SEMIOLOGIE DES TROUBLES DE L’HYDRATATION

I. Déshydratation extracellulaire (DEC)

[bleu]1. Définition[/bleu]

Diminution du volume du compartiment extracellulaire aux dépens des 2 secteurs vasculaire et interstitiel. Elle est due à une perte nette de sodium (bilan sodé négatif) et donc d’eau.

[bleu]2. Physiopathologie[/bleu]

Toute perte de 140 mmol de Na s’accompagne d’une perte d’un litre d’eau plasmatique, pour maintenir une natrémie constante (valeur régulée).

Si la DEC est pure (perte sodée iso-osmotique), l’osmolalité extracellulaire reste normale (285 mosmol/kg) et le volume du secteur intracellulaire est inchangé (la natrémie est normale).

Figure 1 : VIC : volume intracellulaire ; VEC : volume extracellulaire ; Posm : osmolalité plasmatique

[bleu]3. Causes de déshydratation extracellulaire[/bleu]

La perte iso-osmotique de sodium et d’eau peut être d’origine extrarénale, rénale ou due à la constitution d’un « troisième secteur ».

Les pertes extrarénales (natriurèse adaptée < 20 mmol/24 h) sont d’origine :

- digestive (exemple : vomissements, diarrhée)

- cutanée (exemple : sudation importante)

Les pertes rénales (natriurèse inadaptée > 20 mmol/24 h) peuvent être dues aux anomalies suivantes  :
- maladie rénale intrinsèque (exemple  : néphropathies avec perte de sel)
- anomalie fonctionnelle (défaut de réabsorption tubulaire du sodium) (exemple  : traitement diurétique)
suivantes  :

Un « troisième secteur » correspond à un compartiment liquidien qui se forme souvent brutalement aux dépens du compartiment extracellulaire et qui n’est pas en équilibre avec ce dernier (ex : péritonites, occlusions intestinales)

[bleu]4. Diagnostic : sémiologie[/bleu]

Signes cliniques

- Perte de poids parallèle au degré de déshydratation

- Signe du pli cutané. Ce signe est difficilement interprétable par défaut (faux négatifs), chez les enfants et les patients obèses et par excès (faux positifs), chez les patients âgés et dénutris dont l’élasticité cutanée est diminuée
- Hypotension artérielle orthostatique, puis de décubitus avec tachycardie compensatrice réflexe
- Choc hypovolémique lorsque les pertes liquidiennes sont supérieures à 30 %
- Aplatissement des veines superficielles dont la jugulaire externe en position allongée
- Oligurie avec concentration des urines en cas de réponse rénale adaptée à l’hypovolémie (ne s’observe que lorsque la perte sodée est d’origine extrarénale)
- Sécheresse de la peau dans les aisselles
- Soif
Signes biologiques

Aucun marqueur biologique ne permet d’apprécier directement une diminution du volume extracellulaire. Les signes biologiques sont indirects et traduisent :

- Le syndrome d’hémoconcentration

— Élévation de la protidémie (> 75 g/L)

— Élévation de l’hématocrite (> 50 %) (à l’exception de situations d’hémorragie)

- La réponse rénale de conservation du Na :

— Natriurèse effondrée (UNa < 20 mmol/24 h)

— Ceci n’est pas vrai si la perte sodée à l’origine de la DEC est rénale (exemple : diurétiques)

- Les conséquences de l’hypovolémie :

— Insuffisance rénale fonctionnelle : élévation de la créatininémie, de l’urée plasmatique

— Hyperuricémie

— Alcalose métabolique de « contraction »

II. Hyperhydratation extracellulaire (HEC)

[bleu]1. Définition[/bleu]

Augmentation du volume du compartiment extracellulaire, en particulier du secteur interstitiel, qui se traduit par des oedèmes généralisés. L’HEC pure est due à une rétention iso-osmotique de sodium et d’eau, et traduit un bilan sodé positif.

[bleu]2. Physiopathologie[/bleu]

Les oedèmes généralisés traduisent l’expansion du volume interstitiel (apparaissent pour une augmentation du volume interstitiel > 10 % soit 1 à 2 kg pour un adulte de 70 kg). Conformément à la loi de Starling qui régit les mouvements d’eau entre les secteurs plasmatique et interstitiels, les oedèmes généralisés peuvent être dus à :

- une augmentation de la pression hydrostatique intracapillaire : (exemple : insuffisance cardiaque) dans ce cas, l’ensemble du secteur extracellulaire est augmenté (plasmatique et interstitiel).
- une diminution de la pression oncotique intracapillaire (exemple : hypoprotidémie en rapport avec un syndrome néphrotique ou une cirrhose).
- dans les deux cas, il y a toujours une participation rénale secondaire avec réabsorption pathologique d’eau et de sel sous le contrôle du système rénine angiotensine aldostérone.

Figure 2 :

[bleu]3. Causes d’hyperhydratation extracellulaire[/bleu]

Les trois causes les plus fréquentes d’HEC sont :

- l’insuffisance cardiaque
- la cirrhose ascitique
- le syndrome néphrotique

Autres causes :

- glomérulonéphrites aiguës
- insuffisances rénales aiguës et chroniques sévères
- hypoprotidémies très sévères (malnutrition, entéropathie exsudative)
- Syndromes de fuite capillaire (choc septique)

[bleu]4. Diagnostic[/bleu]

Le diagnostic positif est essentiellement clinique.

L’augmentation rapide du volume du secteur vasculaire peut avoir des conséquences cliniques potentiellement graves (oedème aigu pulmonaire). L’augmentation du volume du secteur interstitiel se traduit par la formation progressive d’oedèmes.

Les signes d’hyperhydratation extracellulaire comportent en fonction du siège de l’expansion hydrique :

- secteur interstitiel :

— - des oedèmes périphériques généralisés, déclives, blancs, mous, symétriques, indolores et donnant le signe du godet.

— - épanchement des séreuses (anasarque) : épanchement péricardique, pleural, péritonéal (ascite)

— - oedème aigu du poumon

- secteur plasmatique (signes de surcharge du secteur vasculaire)

— - élévation de la pression artérielle

- quel que soit le siège : une prise de poids

Les signes biologiques sont pauvres car les signes d’hémodilution (anémie, hypoprotidémie, hypouricémie) sont inconstants et aucun signe biologique ne reflète le volume du secteur interstitiel. Lesautres signes biologiques varient en fonction des causes (exemple : augmentation du BNP dans l’insuffisance cardiaque congestive).

III. Déshydratation intracellulaire (DIC)

[bleu]1. Définition[/bleu]

La diminution du volume intracellulaire est due à un mouvement d’eau des cellules vers le secteur extracellulaire secondaire à une hyperosmolalité plasmatique efficace (> 300 mOsm/kg d’eau) (figure 3). Elle est due à une perte nette d’eau libre (= bilan hydrique négatif) et se traduit habituellement par une hypernatrémie.

Il est facile d’avoir une estimation de l’osmolalité plasmatique par la formule suivante :

Posm = [Na+ x 2] + Glycémie (mmol/L) = 285 mosmol/kg d’eau

(Dans cette formule l’urée n’est pas prise en compte. Du fait de son libre passage à travers les membranes cellulaires, elle augmente l’osmolalité sans entraîner de mouvements d’eau).

[bleu]1. Physiopathologie[/bleu]

- La capacité de concentration des urines par le rein est importante. Elle dépend d’une part de la capacité à stimuler la synthèse d’ADH et d’autre part des fonctions de concentration du rein. En situation normale, le rein est capable d’augmenter l’osmolalité urinaire jusqu’à un maximum de 1200 mosmol/kg. L’hyperosmolalité plasmatique traduit un bilan d’eau négatif, et répond à deux grands mécanismes physiopathologiques :
- Déficit d’apport en eau (perte d’eau extra-rénale cutanée ou respiratoire dépassant les capacités d’adaptation) : synthèse d’ADH et réponse rénale adaptée
- Troubles de la régulation de l’eau (diabètes insipides) : anomalie du centre de la soif, anomalie de la production d’ADH ou des osmorécepteurs hypothalamiques, insensibilité rénale à l’ADH

[bleu]2. Causes de déshydratation intracellulaire[/bleu]

Elles sont liées à :
— a) Une perte d’eau non compensée d’origine :
— 1. extrarénale « insensible » (cutanée ou respiratoire) ou digestives basses
— 2. rénale :
— - polyuries osmotiques
(diabète, mannitol etc.)
— - diabète insipide (central ou néphrogénique)

— b) Apport massif de sodium :
— - Iatrogène (perfusions de soluté hypertonique)
— c) Déficit d’apport d’eau ou d’accès à l’eau (nourrisson, sujet âgé)

[bleu]3. Diagnostic[/bleu]
Signes cliniques
- Troubles neurologiques :
— non spécifiques et peu évocateurs ;
— corrélés avec le degré de l’hypernatrémie et sa rapidité d’installation :
— - somnolence,
— - asthénie,
— - troubles du comportement à type d’irritabilité,
— - fièvre d’origine centrale,
— - crise convulsive,
— - coma,
— - hémorragies cérébro-méningées, hématomes sous-duraux, thromboses veineuses
cérébrales (nourrissons, vieillards)
- Soif
- Sécheresse des muqueuses, en particulier à la face interne des joues
- Syndrome polyuro-polydipsique en cas de pertes d’origine rénale
- Perte de poids

Signes biologiques
- Osmolalité plasmatique élevée : Posm > 300 mosmol/kg d’eau
- Hypernatrémie : [Na+] > 145 mmol/L
- Quelques situations rares peuvent associer une hyperosmolalité plasmatique sans hypernatrémie : perfusion de mannitol, intoxication à l’éthylène glycol…

IV. Hyperhydratation intracellulaire (HIC)

[bleu]1. Définition[/bleu]

L’augmentation du volume intracellulaire est due à un transfert d’eau du secteur extracellulaire vers le secteur intracellulaire du fait d’une hypo-osmolalité plasmatique. La traduction biologique en est toujours l’hyponatrémie ([Na+] < 135 mmol/L). L’hyponatrémie associée à une hypo-osmolalité plasmatique s’explique
par un capital en eau relativement supérieur au capital en sodium, ce dernier pouvant être normal, augmenté (HEC + HIC = hyperhydratation globale) ou diminué (DEC + HIC).

2. Physiopathologie

La capacité d’excrétion d’eau libre par le rein est importante. Elle dépend d’une part de la capacité d’abaisser, voire de supprimer la sécrétion d’ADH et d’autre part des fonctions de dilution du rein. En situation normale, le rein est capable d’abaisser l’osmolalité urinaire jusqu’à un minimum de 60 mosmol/kg.

Pour voir apparaître une hyperhydratation intracellulaire, il faut  :

- Soit dépasser la capacité maximale physiologique d’excrétion de l’eau, par exemple dans le cas d’une potomanie.
— Pour un apport osmolaire de 600 mosmol/jour (apport moyen d’une personne de 60 Kg), un bilan d’eau positif (hyponatrémie de dilution par incapacité à éliminer toute l’eau bue) apparaît pour un apport hydrique supérieur à 10 litres (potomanie)
— Pour un apport osmolaire de 120 mosmol/jour (apport faible, situation observée en cas d’alimentation pauvre en protéines animales et en sel), un bilan d’eau positif apparaît pour un apport hydrique supérieur à 2 litres (syndrome tea and toast)
- Soit avoir un pouvoir de dilution du rein altéré (osmolalité urinaire minimum élevée) par une insuffisance rénale ou par hypersécrétion d’ADH. Celle-ci peut être appropriée en cas d’hypovolémie vraie ou « efficace », ou au contraire, inappropriée (puisqu’elle ne répond ni à un stimulus osmotique, ni à un stimulus volémique)(médicaments, paranéoplasiques…).

Figure :

3. Causes d’hyperhydratation intracellulaire

Un bilan d’eau positif peut être dû à :
- Une ingestion d’eau supérieure aux capacités d’excrétion physiologiques (exemple
potomanie)
- Une excrétion d’eau diminuée par altération du pouvoir maximal de dilution des urines. On distingue schématiquement 2 grandes situations :
— ADH basse associée à un défaut rénal primaire d’excrétion d’eau comme dans
l’insuffisance rénale chronique avancée (DFG ≤ 20 mL/mn),
— ADH élevée  :

Par un stimulus volémique (hypovolémie) de la sécrétion d’ADH :

— - hypovolémie vraie (toutes les causes de déshydratation extracellulaire)
— - hypovolémie « efficace » (associée à une hyperhydratation extracellulaire) :
— - insuffisance cardiaque congestive
— - cirrhose
— - syndrome néphrotique

Par sécrétion inappropriée d’ADH (SIADH)

4. Diagnostic
Signes cliniques
- Troubles neurologiques  :
— non spécifiques donc peu évocateurs ;
— corrélés au degré de l’hyponatrémie et à sa rapidité d’installation :
— nausées, vomissements,
— anorexie,
— céphalées,
— obnubilation,
— coma,
— crises convulsives.
- Prise de poids modérée
- Absence de soif voire dégoût de l’eau.

Signes biologiques
- Osmolalité plasmatique, reflet de l’osmolalité globale, diminuée (Posm < 280 mosmol/kg).
- Hyponatrémie : [Na+] < 135 mmol/L.